À l’appel de plus de 70 associations de femmes, environ 2 000 personnes, dont une grande majorité de femmes, ont manifesté le samedi 10 mars à Tunis.

Elles revendiquaient l’abrogation de la législation suivant laquelle une femme ne perçoit, lors d’un héritage, que la moitié de ce qui revient à un homme.

Propos de manifestantes

« Ma fille n’est en aucun cas la moitié de mon fils. En tant que citoyens, ils sont égaux aussi bien en droits qu’en devoirs. Pourquoi devrait-elle hériter de moitié moins ? »

« Les femmes tunisiennes contribuent à l’économie autant que les hommes, donc je ne vois pas pourquoi on les priverait du droit à un héritage équitable. »

« L’inégalité successorale appauvrit les femmes et réduit leur autonomie. Elles ne sont que 12 % à être propriétaires d’un logement, et 14 % à posséder une terre. La faiblesse des ressources héritées par les femmes réduit leurs chances d’accès à la propriété et aux crédits, ce qui entrave leur autonomie économique et aggrave leur vulnérabilité. »

« Il faut cesser de présenter ce combat comme élitiste et tabou. Le changement des rôles au sein de la famille a aujourd’hui bouleversé les équilibres anciens, y compris dans le monde rural. »

Des obstacles multiples

La plupart des adversaires de l’égalité dans l’héritage s’appuient sur le Coran, et il s’ensuit d’interminables discussions sur l’interprétation des textes sacrés.

Officiellement, le parti islamiste Ennahdha ne s’oppose pas frontalement à l’abrogation de cette discrimination. Il s’efforce par contre de vider d’une partie de son contenu une éventuelle loi à ce sujet. Ennahdha propose à cet effet de restaurer les biens habous, qui étaient avant 1957 gérés par des communautés religieuses. Ces biens n’entraient pas dans les partages successoraux, et ont dans le passé très souvent servi à dépouiller les femmes de la part d’héritage dont elles pouvaient être bénéficiaires.

Plus prosaïquement, la volonté de maintenir l’inégalité successorale est un moyen de maintenir la domination masculine. Quand on parle d’héritage, on parle en effet d’argent, de propriété foncière, etc. Et la richesse est un des noyaux durs de la résistance patriarcale à l’égalité. L’égalité dans l’héritage irait dans le sens de l’égalité économique entre les hommes et les femmes, et par là même de l’égalité tout court. Et cela, certains hommes ne le veulent surtout pas.

La preuve en est que certains, se réclamant pourtant de la gauche, tergiversent, expliquant que ce ne serait pas le moment de prendre une telle mesure, ou que ce serait une mesure petite-bourgeoise occultant la dimension de classe, etc.

Rien ne peut remplacer les mobilisations

Par une tribune d’Hamma Hammami publiée le 27 janvier, le Front populaire s’est très nettement démarqué de ce genre d’attitude. Il a appelé à « se débarrasser de la dernière loi ségrégationniste qui concerne l’héritage », et plus largement à « supprimer toute discrimination et à instaurer une égalité légale entre les femmes et les hommes ».

Quant à Nidaa Tounès, le parti du président Essebsi, ses prises de position en faveur de l’égalité ne sont pas dénuées de calculs politiciens. En pleine crise et alors qu’il est de plus en plus isolé, le parti présidentiel y voit un moyen de tenter de se reconstituer une base, en particulier parmi les femmes. S’y ajoute l’espoir de mettre en difficulté Ennahdha, avec qui il fait par ailleurs équipe au gouvernement.

Même si une loi instaurant l’égalité face à l’héritage était finalement adoptée, resterait ensuite à la faire appliquer. Et pour y parvenir, rien ne peut remplacer les mobilisations.

Article publié sur le site du NPA.